LA CERAMIQUE A VILLENAUXE-LA-GRANDE

Autrefois, les « gueules grises » et les « culs blancs ».

Pendant 150 ans, à partir de 1850, Villenauxe-la-Grande vit au rythme des mineurs d’argile « gueules grises » et des céramistes « culs blancs ». Perpétuant un savoir-faire exceptionnel, des générations d’ouvrières et d’ouvriers vont porter loin le renom de la cité.

L’argile de Villenauxe est exceptionnelle : c’est une argile à faïence exempte d’impuretés et qui cuit blanc à 1 280 degrés, alors qu’habituellement les argiles ne restent blanches que jusqu’à 900 degrés.

En 1882, Les frères Bellisson, qui viennent de bâtir la ligne de chemin de fer reliant Esternay à Romilly, trouvent dans « l’or gris » une intéressante reconversion. A l’heure où s’achève la construction du chemin de fer en France, le débouché est assuré : la manufacture de Sarreguemines s’engage à acheter toute leur argile aux Bellisson qui investissent pour longtemps à Villenauxe.

Jusqu’alors, des artisans exploitaient des affleurements naturels ou des puits peu profonds. Les débouchés étaient essentiellement locaux et les méthodes douces : le mineur découpait les mottes au hoyau (pioche) ; l’argile était ensuite remontée dans de grands paniers ou des cuffas, sortes de bennes métalliques hissées au treuil. Les Bellisson vont peu à peu éliminer leurs concurrents. Ils font creuser des galeries souterraines, boisées, ventilées et éclairées. Les techniques d’extraction évoluent :  « lignage » des argiles grasses au fil et aux crochets, tirage à l’explosif des argiles sèches, transport en wagonnets roulés à bras… Ces techniques perdureront jusqu’en 1955.

Les « Gueules grises » et l’extraction de l’argile de Villenauxe

En 1920, alors que la mine occupe déjà une centaine d’ouvriers, les deux plus importants faïenciers français (la Société des Faïences de Sarreguemines et la manufacture des faïenceries de Saint-Amand) s’installent à Villenauxe-la-Grande pour extraire eux-mêmes l’argile, expédiée ensuite dans leurs usines. Ils resteront jusqu’en 1960. Jusqu’à cette date, le mineur gagne bien sa vie ; il peut mettre de côté jusqu’à la moitié de son salaire.

Les années 70 sonnent le glas de cette industrie centenaire. Le salaire n’a pas progressé depuis dix ans alors que les conditions de travail se sont dégradées. Le mineur doit désormais abattre 15-20 tonnes/jour au marteau pneumatique, un engin de 18 Kg porté à bout de bras, huit heures par jour, dans la boue, par 11°C et 90 % d’humidité… Arthrose, bronchite, surdité, les gueules-grises paient aujourd’hui le prix fort. La rareté de la main d’œuvre rebutée par ces conditions de travail, les normes de sécurité et le prix du boisage mettent un terme à l’exploitation des mines souterraines.

Aujourd’hui, l’argile est encore exploitée, mais par une seule entreprise, dans une carrière à ciel ouvert, à coup de pelle hydraulique. On est loin des 2-3 m3/jour de rendement du mineur au hoyau…

Les « culs-blancs » et le biscuit de porcelaine

Dès 1853, M. Vital-Roux, chef des travaux céramiques à la manufacture impériale de Sèvres, note qu’une certaine argile réfractaire de la région «serait d’une grande utilité à la fabrique de porcelaine pour la confection des gazettes » (les gazettes sont les cylindres à l’intérieur desquels les pièces de porcelaine sont cuites).

Le train permet d’acheminer le kaolin depuis Limoges ; le bois de chauffe est abondant. Dans ce contexte porteur, des chefs d’entreprises vont tenter leur chance à Villenauxe avec la porcelaine, une production nouvelle promise à un bel avenir.

La manufacture ouvre en 1856. Contrairement à Limoges, Villenauxe-la-Grande se spécialise dans l’art statuaire.

C’est entre 1860 et 1919, sous la dynastie Letu et Mauger, également fabricants à l’Isle-Adam (Seine & Oise), que la manufacture acquiert dimension et renommée. Elle fabrique alors essentiellement des articles religieux et funéraires en biscuit [porcelaine cuite sans émail] et des sujets fantaisie en terre cuite décorée. La statuette y est déclinée sous toutes ses formes ; on crée des petits articles d’ornement pour la table et développe la faïence décorée à la main et Villenauxe obtient le monopole de l’art funéraire en France.

Premier fabricant de souvenirs

En 1898, après le lancement de ses premiers «souvenirs de bord de mer» lors de l’Exposition universelle, la manufacture devient le premier fabricant français de souvenirs locaux. Des pêcheurs en terre cuite rouge naturelle ou polychrome, d’abord peints à la main puis décorés par décalcomanies, avec des milliers de modèles différents. Employant jusqu’à 180 culs blancs dans les années 1960, la manufacture n’aura de cesse d’innover. Ainsi, dans les années 1960, alors que l’entreprise maîtrise la faïence, elle se lance dans l’article publicitaire avec, notamment, toute une gamme de cendriers.

« Sans doute, était-ce la seule usine maîtrisant à la fois la porcelaine, la terre cuite et la faïence » se souvient Claude Tessier qui, après son père Félix, a dirigé l’entreprise jusqu’en 1988.

Sous le poids des charges sociales, à cause de l’impossibilité d’augmenter ses prix et de la consécration des matières plastique, la manufacture ferme en 1992, des projets pleins les tiroirs. C’est alors la fin d’une époque pour Villenauxe, une époque où, entre manufacture et mine, les Villenauxois étaient assurés d’un travail toute leur vie. Claude Tessier la résume ainsi : « Les gosses entraient d’abord à la manufacture. Vers 16 ans, ils pouvaient, ainsi que les femmes, travailler à la mine comme éplucheurs. Ne devenaient mineurs que les solides gaillards ! »

Les céramiques de Villenauxe ont certainement été les plus diffusées en France.

« Il est rare qu’un antiquaire n’en possède pas au moins une pièce », précise Claude Tessier. Pourtant, la marque « Villenauxe » est méconnue, voire inconnue. Une faible notoriété qui s’explique facilement : « La production était anonyme. S’agissant de l’art funéraire, l’acheteur n’avait que faire de la signature. Quant aux souvenirs, ils portent le nom des stations balnéaires ou touristiques… ».

Ces sujets sont aujourd’hui recherchés par les collectionneurs. Vendu 4 à 20 francs dans les années 30, un souvenir de bord de mer peut coter, aujourd’hui, plus de 1 000 €.

Aujourd’hui, à Villenauxe-la-Grande et dans son canton, s’écrit une nouvelle page de la céramique. En proposant une céramique artisanale haut-de-gamme, les artistes et artisans d’art de Villenauxe et son canton contribuent à faire vivre cette tradition ancestrale.

A visiter :

  • Ecomusée « Espace Patrimoine »

  • Atelier Du Cep

  • Atelier de Natacha Roche-Fontaine