La noire cathédrale de Clermont-Ferrand, visible de très loin, donne le ton de ma future balade en Auvergne : elle sera sombre ! Pourtant, nous sommes fin avril, les jours pourraient être déjà longs et lumineux, mais ce printemps-ci l’aura décidé autrement. Avec entrain, je grimpe sur le plateau de Gergovie, laissant Clermont-Ferrand dans sa cuvette. Entre les murets de l’ancien oppidum gaulois s’étendent des prairies à moutons ornées de quelques chênes nains. La vue d’ici est splendide mais menaçante : de gros nuages noirs défilent en altitude ne laissant échapper que parcimonieusement un mince filet de soleil pour colorer un court instant la vallée de Limagne et les montagnettes qui la bordent. Le puy de Dôme garde obstinément son capuchon gris foncé, qui le fait ressembler à un Gaulois avec son casque enfoncé jusqu’aux yeux. Je frissonne et continue.
Saint-Saturnin était une bonne halte : gîte agréable avec un très bon dîner, mais pas de chauffage dans la chambre d’hôtes. Le thermomètre avoisine 2 °C ce matin ! La marche me réchauffe un peu, mais sans les gants, c’est impossible. Je remonte le col de ma veste et chemine solitairement, tranquillement, vers Champeix. Montaigut-le-Blanc, village dominé par son château fort, apparaît sur un fond de ciel gris ferraille, ce qui donne un joli contraste dans les valeurs blanc-gris-noir. Ce soir, je logerai dans une vieille boulangerie troglodyte. Chouette, je dormirai au chaud ! pensé-je joyeusement. Dans cette agréable demeure bien rénovée et douillette, j’ai la mauvaise idée de regarder la météo sur mon portable. Oh non ! ils annoncent de la pluie pour au moins dix jours !
J’ai eu du mal à m’endormir avec ce lancinant souci en tête. Je repars de Champeix à 6 heures et demie déjà. L’étape sera longue, et j’aime bien faire le plus gros du chemin dans la matinée. L’abbatiale Saint-Austremoine à Issoire m’accueille chaleureusement. Tout est lumineux et coloré dans cette église peinte de fond en comble, je m’y sens bien et peux récupérer après cette froide matinée par monts et par vaux. L’après-midi, un petit vent glacial se met à souffler et soulève ma cape de pluie. Je hâte le pas et arrive frigorifiée à Saint-Germain-Lembron au bord du Couze d’Ardes. La chambre d’hôtes se trouve dans une tour accolée à une très vieille maison. Tout est bien agencé, mais les radiateurs sont bloqués et je n’arrive pas à augmenter la température. Pour passer la nuit au chaud, j’ai recours à un stratagème inventé ad hoc : je me fabrique une bouillotte avec ma bouteille d’eau pèlerine. Ça fonctionne, ouf ! Bonne nuit ! Le bon déjeuner me tient chaud au ventre jusque tard dans la matinée. « Nonette » la butte conique passe à ma gauche, l’Allier à ma droite, ses eaux sont sombres et inquiétantes, on dirait du métal en fusion. Après quelques erreurs de route et de réajustements d’itinéraires coûteux en force et en énergie, je me hisse enfin vers le soir sur l’éperon rocheux qui abrite sur ses contreforts un surprenant village fortifié : Auzon. Avec mes genoux chancelants, je cherche mon nouveau gîte : « chez Dominique ». Il est là, sympathique et jovial. Son logement est très original, intégré dans les fortifications du bourg, un peu de bric et de broc, mais amusant, seulement il y fait très froid ! Dominique allume un petit chauffage à pétrole : « Avec ça, dans une demi-heure, vous aurez bien chaud », affirme-t-il. Je veux bien le croire, mais pour le moment je grelotte. Avec un Royco et une tisane brûlante, j’essaie de me réchauffer un peu. Le petit poêle fait également tout son possible. Enfin bien au chaud avec ma bouillotte inventée, je repense à ma journée passée et m’endors paisiblement.
La nuit, je rêve d’un incendie dans le château fort de Montaigut-le-Blanc où j’ai trouvé refuge pour la nuit. J’en réchappe de justesse et me réveille en sueur. Zut, j’ai oublié d’éteindre le poêle à pétrole ! Je l’éteins enfin mais ne me rendors plus.
Sous une pluie fine et accablante, je cherche mon chemin vers Brioude. Je ne me permets même pas une courte pause à midi pour casser la croûte. Qui aurait envie de s’asseoir et manger sous la bruine ? Frigorifiée, je continue. Le ciel s’abaisse, il s’assombrit encore plus. Il laisse présager le pire. Je prends une photo amusante : sur une prairie vert fluo, une vache rousse contre un ciel presque violet. Beau contraste, instant magique !
J’entre à Brioude juste avant l’orage et me précipite dans la basilique Saint-Julien. Ouf, il était temps ! Des grosses gouttes s’écrasent sur le sol, de plus en plus vite. De magnifiques fresques décorent les murs et les piliers de ce sanctuaire, et les vitraux modernes inspirent bien-être et confiance. Merci de m’accueillir, belle église, je ne sortirai plus d’ici, je ne veux plus pérégriner, le froid a eu raison de moi. Je dépose mes dernières résistances ici, devant l’autel ouvragé de saint Julien, aux pieds du Christ comme Vercingétorix déposant ses armes devant Jules César.
Dans cette douce ambiance feutrée, aucun reproche ne retentit, aucun défi à relever. Les dés sont jetés, demain je rentrerai !
Seraina Heinrich